Introduction au milieu blagologique

Préambule

Imaginez un bâtiment imposant, carré, aussi ennuyeux que possible, des portes coulissantes et des gens pressés en pardessus sous un ciel qui menace de se liquéfier. Un panneau à côté de l’entrée de l’édifice : Pratt and Hacter, and Hacter & Schmidt. Bref, une multinationale aux activités floues.

A l’intérieur, une grande salle carrelée où des téléphones sonnent sans arrêt, où des fax sont envoyés à la main pour aller plus vite et où, du fond d’une corbeille, des projets invalidés sont évoqués par une voix plaintive.

Plus loin, après quelques portes coulissantes, deux digicodes et un long couloir un peu sombre : des salles de machines bruyantes et fumantes. Plus loin encore, après l’ascenseur, un couloir un peu plus sombre et d’autres identifications rétiniennes : un sas hermétique et insonorisé, sur lequel on lit « BLAGOLOGIE, Division 147 ».

Une voix grave s’élève soudain, sur fond de musique de contre-espionnage (une simple musique d’espionnage faisant cliché) :
« Depuis la nuit des temps, le rire a fasciné l’homme. Si bien qu’à la fin du XXe siècle, des scientifiques ont voulu comprendre la blague, explorer l’essence du comique, au-delà de l’humour. »
La porte s’ouvre sur des bruits de tartes à la crème écrasées et de langues de belle-mère trompétées à tout va. Le sas se referme brutalement, dans un vacarme assourdissant de tôle gondolée. Les bruits de tartes à la crème ont disparu.
« BLAGOLOGIE, Division 147. Parce qu’avant tout, nous sommes des chercheurs. »
Bienvenue en Blagologie, monde souterrain peuplé de savants aussi fous que paranoïaques. Le domaine d’expertise de ces scientifiques est hors du commun car ils mènent des recherches sur les fondements de la Blague, matière si instable et sensible. Ces hommes en blouse blanche totalement allumés du cerveau sont appelés des Blagologues. Ce sont des scientifiques de la Blague…

En enfermant des scientifiques trop joviaux pour être crédibles dans des salles de laboratoire reliés entre elles par de longs couloirs lugubres, en leur faisant faire des expériences parfois douteuses sur des Blagues vivantes, finalement, tout ce qui peut en résulter n’est qu’un joyeux capharnaüm. Ou la fin du monde exécutée par des Blagues de Toto revanchardes.


Du rire…

Les personnages principaux de Blagologie sont les Professeurs Pink et Blue et le Stagiaire Bílý[1], Blagologues désinvoltes et potaches de la Division 147. Ce sont en priorité leurs péripéties blagologiques que l’on pourra suivre.

Les occupants des sous-sols ont pour particularité d’avoir comme patronyme une couleur dans une langue dans une langue donnée, associée à un titre. Cela fait directement référence au film The taking of Pelham One Two Three (Les pirates du métro) de Joseph Sargent et à son procédé repris dans Reservoir Dogs de Quentin Tarantino, et permet ainsi de peupler les couloirs de Blagologie d’une foule totalement impersonnelle, mais récurrente. De fait, on peut croiser le chemin de Mlle Green, suivre une expérience du Docteur Schwarz ou entendre parler d’un épisode de l’histoire sombre du Conservateur Rosso…

Attention, il est à préciser que les Professeurs Pink et Blue et le Stagiaire Bílý, à l’instar de leur confrères de sous-sol, ne sont pas humoristes, mais bien des scientifiques. Ils n’ont pas pour vocation d’être drôles, au contraire de disséquer et de comprendre la blague pour annoter dans leurs rapports le degré de drôlerie et d’humour contenu dans toute vanne. Cependant, ils sont tous au moins farfelus, si ce n’est complètement en décalage par rapport à la réalité. On n’étudie pas les Blagues à longueur de journée sans en subir certaines conséquences.

Pour mener à bien leurs investigations, les Blagologues disposent de sujets d’études originaux essentiellement tournés vers la parodie (fausse publicité, bande annonce de film imaginaire, feuilleton…). Certains sujets sont récurrents, car la recherche a souvent besoin de s’étaler sur la durée, tandis que d’autres investigations ne viennent que ponctuellement, selon que le dossier a été invalidé ou que le résultat ne nécessitait pas de contre étude ultérieure.


… Aux larmes

Blagologie est un monde souterrain, composé de longs couloirs à l’éclairage blafard et peuplé de blouses blanches qui déambulent dans un capharnaüm de rires enregistrés et de Blagues de Toto instables. Bien entendu, un titre aussi prétentieux que BLAGOLOGIE, Division 147, faisant directement référence au rire, annonce quasiment systématiquement un résultat falot et bancal, souvent plus poussif que drôle.

Mais prenons le postulat que les personnages de Blagologie, ces scientifiques, font beaucoup d’expériences périlleuses, qu’ils louvoient sans arrêt entre le bide total et l’hyper technologie, dans un climat d’hystérie psychiatrique et de complots permanents dignes des grands moments de la Guerre Froide…

Il faut l’avouer, les Blagologues mènent une vie dangereuse et peuvent à tout instant mourir, en quelque sorte sacrifiés sur l’autel de la Blague. Si à la base de cette organisation secrète, les Professeurs et leurs acolytes sont souvent insouciants, en haut lieu, il existe une idéologie inquiétante dont il faudrait se méfier. Aucune Blague n’est anodine.


La science, le prétexte au retour du merveilleux

D’un côté, les Blagologues, héritiers du savant fou moderne, ont les câbles qui se touchent. De l’autre, les Blagues — le matériau brut sur lequel ils travaillent — sont palpables, vivantes, dotées parfois d’une conscience… En fonction de l’épithète qui va la qualifier, la Blague devient un condensé de tout ce qu’un chercheur peut avoir à étudier.
  • Une Blague peut être archéologique. Dans ce cas, il faudra mettre en place des fouilles.
  • Une Blague peut être sauvage et sera chassée par un Blagologue-Ranger.
  • Un groupe de Blagues de Toto peut provoquer une mutinerie.
Ce qui compose la nature d’une Blague, cette étrange réaction chimique qui provoque le rire, c’est une forme de chaos, une perturbation dans l’ordre logique. Tenter de la rationaliser, c’est s’exposer à des altérations imprévisibles[2]. La science, la science fiction et la magie sont ainsi balayées au profit de la Blague qui permet tout ou presque. Le pas vers l’absurde est franchissable à volonté.

  

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[1] Rose et bleu en anglais, blanc en tchèque..
[2] Exemple du Docteur Amarillo qui croyait avoir découvert l’ultime Blague des tondeuses à gazon ; il s’est dématérialisé avec sa tondeuse et réapparaît de temps en temps avec cette odeur d’herbe fraîchement coupée, en passant à travers les murs à pleine vitesse en hurlant d’arrêter la machiiiiiine !