Les lieux spéciaux

Chez Mlle Green 
« On n’est pas malade en Blagologie, on sert la blague. Et puis après, on meurt.
 » Mlle Green. 
Où tout est gris. C’est parce qu’elle s’appelle en réalité Mlle Grey, mais ceci est une autre histoire. L’appartement est situé dans une zone ultra sécurisée « 11 niveaux de confidentialité au dessus du président ». La déco est restée « années 50 », soit juste avant l’arrivée de la fantaisie et de la couleur. Une vieille télé, un vieux fauteuil sans accoudoir, une longue table en chêne massif avec une chaise, des napperons, un lecteur DVD et un moniteur de surveillance branché sur tous les canaux, plus un micro par lequel elle peut engueuler qui elle veut. Enfin, disposée dans un ordre à la logique incongrue qui confine à la maniaquerie, une collection impressionnante de films de vampires offre au visiteur une montée de sueur irrépressible quand on pense que c’est là la seule distraction connue de celle que le Pr Blue appelle le Poing G. 

Mlle Green a cessé de hanter les couloirs de la Division 147, mais il se pourrait qu’elle revienne bientôt. Après tout, elle est ici chez elle. 


Le Panthéon 

Là où séjournent les plus grands disparus pour la cause de la Blague Ultime. Il y a bien sûr un caveau pour Alan Super White, mais personne ne veut admettre qu’il est vide. Ce peut d’ailleurs être une cachette d’exception. Les caveaux sont situés dans une crypte attenante à la salle principale, qui sert également de lieu de colloque ou de réunion importante. C’est toujours plus convivial quand on est entouré de morts. La salle principale a une disposition semblable à un amphithéâtre grec, mais sur un tiers de cycle, allez savoir pourquoi. Le long couloir qui mène au Panthéon est jalonné de représentations de fameux Blagologues, avec une annotation qui précise les raisons de son exposition, ainsi qu’un symbole ou un objet lui faisant référence. De nombreux élèves y séjournent régulièrement dans un profond recueillement, afin de s’imprégner de l’âme des disparus. Le sol du couloir est en moquette rouge bordeaux et l’éclairage y est plus tamisé que les habituels néons.


La White-Cave 

Alan Super White est vivant. C’est ce que pensent certains Blagologues, en dépit des innombrables avis de décès du célèbre Blagologue-Aventurier. Il aurait survécu à des tentatives d’assassinat, aux éboulements, aux attaques de blagues mutantes et même, d’après des sources confidentielles, à une nuit torride avec Mlle Green. C’est d’ailleurs après l’amour, peut-être son seul instant de sentimentalisme (ou le dernier), que l’engeance verdâtre confia à son mentor les ambitions perverses et totalitaires qu’elle nourrissait avec les blagues. Choqué, écœuré, trahi, Alan Super White voulut écarter Mlle Green du Projet Blagologie, mais il était déjà trop tard. La corruption était en œuvre partout en sous-sol. Refusant de perdre espoir, de tourner le dos à son idéal de blague propre, il se résigna à entrer dans la clandestinité, après avoir reçu l’apprentissage d’un ex-ninja reconverti dans le dressage de fauves. C’est ainsi qu’il créa la White-Cave, son repaire secret d’où il peut aller et venir sans être repéré. 

La White-Cave ne ressemble pas du tout à une Bat-Cave ou tout autre repaire secret ultra-technologique. Il faut savoir qu’Alan Super White est né vers 1900. Il a donc gardé un goût immodéré pour le rétro des années folles. La déco en pâtit évidemment. Seule exception, un caisson de cryogénie branché sur une alarme ultra sophistiquée (dans les années 60) où repose Alan Super White. Lors des crises majeures, le système de surveillance réveille Alan Super White pour qu’il reprenne du service et sauve quelques âmes égarées. Il fut un temps où un dérèglement dans l’alarme réveillait le professeur-aventurier aussitôt la cryogénie activée. En réalité, ce n’était pas l’alarme qui était défectueuse, mais les Blagologues qui faisaient n’importe quoi. 


La Salle des bouteilles 

Nul ne sait si elle existe encore. Installée sur une idée du Pr Pink pour lutter contre les crises révolutionnaires, elle a officiellement été détruite par Mlle Green. Mais à ce qu’il paraît, les plans de fabrication auraient été volés par un type des poubelles et le Stagiaire Red l’aurait reconstruite quelque part derrière un placard dans un bureau du Département 29, avant de mourir. D’autres prétendent que la salle des bouteilles aurait été sauvée de la destruction par Alan Super White en souvenir de ses années de jeunesse à la Section 17, aux Blagues Ethyliques. Hélas, personne ne sait vraiment à quoi elle servait. 

D’après Pink, ça aurait dû marcher autrement que dans la pratique. D’après Blue, de toute façon, on n’avait pas de vigne à proximité. L’un ayant été relocalisé dans la tête, l’autre ayant été rayé des formes de vie autorisées à la circulation, aucun n’a pu dévoiler le mystère de la salle des bouteilles. 


Le Blocus 666 

Situé loin au fond d’une zone désaffectée, ce n’est pas pour rien que ce Blocus porte la marque du démon. Logiquement, elle aurait dû s’appeler le blocus R-32 puisqu’elle est située entre les salles R-30 et R-34. Mais vu qu’elle enferme une Blague mutante bombardée d’atomes en fusion qui, dès qu’elle a été douée de parole, en a appelé aux démons de l’enfer, c’est le Balayeur qui l’a surnommée le Blocus 666. Puis, il a trouvé que c’était cool, alors il a remplacé la plaque R-32 par une autre avec marqué 666. Ce n’est pas pour rien. 


La Loge des Francs Blagons 

Au départ, simple dortoir aménagé en maison étudiante dans le plus pur style américain, la Loge des Francs Blagons est devenue une légende en marche. Tout est parti d’une bande de Stagiaires en mal de conspiration qui voulaient créer une corporation, comme le cercle des poètes disparus, mais avec des prouts quand on se colle la main sous l’aisselle. Ils se sont donnés le nom de Francs Blagons et prétendaient rechercher la Sainte Blague. Puis ils se sont rendus célèbres avec leur fameuse Blague du Trésor des Francs Blagons, en laquelle certains aujourd’hui croient encore. Forts de leur succès auprès des plus naïfs, des jeunes et de certaines filles peu farouches, les Francs Blagons ont emprunté une dérive sectaire. Bref, ils se sont pris au sérieux. 

On ignore leur potentiel actuel d’infiltration ou de pouvoir à l’intérieur de Blagologie, mais les initiés se frottent souvent les mains en regardant un type en coin et d’un même œil. 

Anciennement située dans le quartier des Stagiaires et suite au « Scandale des Poêles en Téflon », la Loge a maintenant élu domicile dans plusieurs salles désaffectées aux abords du blocus 666, depuis le labo R-26 jusqu’à la salle de repos R-13. À partir du labo R-26, on commence à entendre distinctement les hurlements de la Blague Maudite. Mais bon, si on passe outre la proximité d’une menace radioactive incontrôlable, les Francs Blagons ont de la place là où personne n’ira leur demander des comptes. 



Digne héritier du Bouffon du Roi, le Clown est en soi un élément incontournable de Blagologie, en ce sens qu’il réfère aux anciens temps où l’humour consistait le plus souvent à grimacer outrageusement, à se déplacer avec raideur et à balancer des tartes à la crème à l’amant de sa femme, elle-même mangée par le lion caché dans le placard. À l’époque, l’humour était au mieux un art, souvent déjà une manière de manipuler les foules, mais jamais une science. Le Clown est donc le dernier recours des Blagologues dans leurs expériences, sauf pour certains chercheurs psychotiques qui leur vouent un culte malsain et inquiétant. 

Il existe une aile entière de Blagologie qui renferme des clowns, suite à une expérience ratée, dirigée il y a longtemps par le mythique Dr Toto Schwarz. Il s’agissait de répondre à la question : « Mais pourquoi le clown ? . 

Vaste programme. On a donc déguisé quelques Stagiaires dociles en clowns, mais très vite, la situation a dégénéré. Encore. Aussitôt affublés du nez de clown, les cobayes sont devenus hystériques et ont agressé les Blagologues en blouse. La situation prenant des proportions incontrôlables, le Dr Toto Schwarz a dû condamner la salle d’expérience, mais il n’a pu empêcher les clowns de creuser un accès vers la réserve de chantilly. Les Blagologues ont tenté de battre en retraite sous un déluge de tartes, hélas, nombreux sont ceux qui avaient déjà été contaminés en se faisant coller un nez rouge par des clowns déchaînés. 

De nos jours, l’Aile Des Clowns existe toujours, mais nul ne sait ce qu’il s’y passe. Les caméras de surveillance filment toutes la même paire de fesses depuis une éternité ; les rares ouvertures sont obstruées ; même le système de ventilation semble fonctionner en boucle interne. La seule tentative de résorption de la contamination, l’opération « À Mort Le Clown », s’est soldée par l’extinction de 17 espèces animales majeures et le début de l’ère Thatcher en Grande Bretagne. Ce fut donc un échec. 

Des trop rares rescapés de cette pantalonnade, un seul Blagologue parvint à garder en partie sa tête, malgré le nez rouge que sept clowns enragés étaient parvenus à fixer sur son front avec de la glue : le Dr Toto Schwarz. Portant sur ses épaules le poids de cet échec retentissant, sévèrement atteint par la contamination du nez rouge qu’il n’est jamais parvenu à enlever, il réussit cependant, après un long combat intérieur, à dompter le clown en lui. 

Diminué, atteint dans son orgueil, le Dr Toto Schwarz continua un temps de mener ses recherches, mais il finit par ne plus sortir de ses appartements, ne communiquant qu’avec certains de ses plus fidèles assistants. On ignore les circonstances de sa mort, bien que de nombreuses théories existent. La plupart penche pour la thèse du meurtre par le Pr Yellow, son premier assistant. D’autres prétendent qu’il est toujours vivant, à rôder aux alentours de l’Aile Des Clowns, qu’il geint en appuyant tristement sur son nez rouge qui fait pouet-pouet, comme s’il cherchait à rejoindre ceux de son clan. 


La Zone de Contamination 

C’est une séquelle indélébile d’une énième catastrophe survenue en sous-sol. Un Blagologue négligent, le Pr Rouge, aurait manipulé une Blague de Toto sans les précautions d’usage. Profitant qu’il avait le dos tourné, la Blague se serait jetée sur un Stagiaire et l’aurait violé avant de l’ingurgiter, le tout en à peine 5 secondes. Repue, la Blague de Toto se serait enfuie avant que quiconque puisse réagir. 

Une autre version de l’origine de la catastrophe est décrite par un rescapé anonyme de l’agression dans un journal publié sur l’intranet Moi, Aspirant de couleur indéterminée, Blagologue. D’après ce journal, le Pr Rouge aurait effectivement fait une faute par négligence, mais il aurait très vite compris de quoi il retournait. C’est happé par une curiosité lugubre qu’il a regardé les ébats durer bien plus que les soi-disant 5 secondes, avant de se précipiter à l’abri en constatant que la Chose, la Blague de Toto vorace allait mettre à bas. 

Ceci a eu pour conséquence une prolifération sans précédent de Blagues de Toto mutines qui ont pris le contrôle de nombreux points vitaux de la Division 147. Après une lutte sans merci et le retour au pouvoir de Mlle Green alors en disgrâce, on a finalement réussi à confiner les Blagues de Toto survivantes dans une zone scellée à jamais. 

A noter que le retour de Mlle Green a précipité la lobotomie du Pr Blue et la disparition du Pr Pink. Dans Blagologie, on a tous dit merci au Pr Rouge. 


L’Hyper Parc et le triomphe de la pensée Gelbienne 

Au début des années 60, alors que les années sombres commençaient à se faire oublier, Blagologie entrait dans une nouvelle ère, celle de l’éternelle jeunesse. On croyait pouvoir dépasser les étoiles avec une simple Blague ! Cet état d’esprit positivement optimiste était incarné par le jovial Superviseur Gelb. Selon lui, pour augmenter son potentiel de recherche, un Blagologue devait pouvoir sortir du carcan des laboratoires, s’évader, même si la suprême confidentialité de Blagologie interdisait tout retour à la surface. C’est pourquoi il décida de faire construire, dans ce grand élan que les psychiatres nomment « délire lyrique », un parc d’attraction aux proportions démesurées et en sous-sol. Le thème, c’était le western. C’était génial. 

Comme le disait le Superviseur Gelb lui-même : « un Blagologue ne connaîtra l’humour que s’il connaît l’humour ». C’était obscur, mais avec l’entrain et l’enthousiasme forcené qu’on lui connaissait, en partie due à la constance de son éthylisme, le Superviseur Gelb persuada tous les Économes de libérer les crédits pour son projet faramineux, notamment grâce à ses contacts avec le magnat saoudien du pétrole Bianco Cheik Branco. Ce dernier était aveugle de naissance et donna tout l’argent du ménage à Blagologie, soit plusieurs centaines de milliards de pétro-dollars, faisant confiance au « pouvoir destructeur du rire que Blagologie pouvait lui apporter ». Le Cheik ignorait que cette phrase était parfois à prendre à double sens, pas comme les voies d’autoroute. Car en sous-sol, un Économe s’opposa au Superviseur Gelb et à ce qu’il considérait comme le futur Triangle des Bermudes financier de Blagologie. Déjà que le Triangle des Bermudes, si on en n’est pas vraiment responsable, on a quand même largement contribué à augmenter ses effets, il n’y a qu’à voir les poissons… 

L’homme était l’Économe Cremissi. Mais comme il faisait toujours la gueule, personne ne l’écouta et l’on préféra la perspective de manger de la barbapapa en sortant du Train Fantôme. Constitué entre autres d’un casino indien, d’un restaurant à thème la Chista Fatal, d’une buvette saloon et d’un stand d’auto-tamponneuses en plus des nombreux manèges et tourniquets, l’Hyper Parc achevé fut le point culminant de la Pensée Gelbienne. On y trouvait également de nombreux stands de tir, une Grande Roue (oui, en sous-sol), divers jeux d’eau ainsi qu’une reconstitution grandeur nature d’une charge de cavalerie sur ces sauvages de Peaux-Rouges… 

Enfin, les Blagologues connaissaient le rire sain, l’humour bon enfant et les promenades à deux en amoureux, le ventre retourné par le Grand-Huit. À tel point que certains Blagologues passaient plus de temps à essayer les attractions qu’à plancher sur leurs études sur « la blague ménagère est-elle l’aboutissement du rêve américain ? ». Il s’ensuivit une chute brutale de la production du cours des blagues sur le marché boursier de l’armement, avec en fond, la Guerre Froide qui battait son plein. Un tel déséquilibre dans le rapport de forces entraîna la ruine du magnat du pétrole Bianco Cheik Branco, après qu’il eut sorti en public 3 vannes pourries sur ses belles-mères à qui il avait offert un aspirateur. Avide de vengeance, le Cheik Bianco Cheik Branco comprit qu’il s’était fait arnaquer par Blagologie et pour se refaire, il fit cesser l’exportation de pétrole. On était en 1979. Premier choc pétrolier. 

En dessous, ça s’affolait un peu, parce que personne ne faisait plus rien, si ce n’est crier youhouuu, un fanion dans une main, de la barbapapa dans l’autre, assis sur un train miniature. Ou se faire prendre en photo au milieu de la charge de cavalerie contre les sauvages. 

Gardant son attitude joviale, le Superviseur Gelb se fit casser la gueule par l’ensemble des Économes qui s’étaient eux-mêmes fait casser la gueule par un Archisuperviseur pour le gouffre budgétaire que représentait l’Hyper Parc. Puis, derrière les derniers poings qui s’écrasaient sur son nez, le Superviseur Gelb vit apparaître l’Économe Cremissi qui lui fit cette déclaration devenue historique : « À partir de maintenant, ils n’auront plus qu’une cible et 2 fléchettes pour se divertir. Pas 3, pas 4, mais 2 fléchettes. Et qu’ils ne les perdent pas ! Nous ne renouvellerons le stock qu’en 1999 (soit la fin des temps quand on est en 1979 et que son espérance de vie est chaque jour remise en jeu par un maniaque de la roulette russe). » 

Dès lors, l’Hyper Parc cessa d’être entretenu et tomba peu à peu en ruines, les machinistes ayant interdiction d’approcher les attractions à moins de 30 mètres. Malgré tout, des Blagologues continuèrent à fréquenter le Parc, actionnant à tour de rôle les manèges, avec toujours ce même enthousiasme, mais un enthousiasme de plus en plus isolé. 

Des années après la fermeture, lorsqu’on voyait, déambulant dans les couloirs, un Blagologue sourire bêtement, un bâton surmâché de barbapapa dans la main, on lui disait : « toi, tu as encore passé trop de temps à l’Hyper Parc ». Et il répondait tout doucement : « ouiiii ». 

Jusqu’au jour tragique où une attraction rouillée s’écroula sur des Stagiaires, tandis que l’on se rendait compte que le train fantôme abritait réellement des cadavres. Jour qui marqua la jubilation ultime, encore présente chez ses confrères, de l’Économe Cremissi. Car enfin, avec la disparition de ces bouches à nourrir, on entrait à nouveau dans les frais de Blagologie… 

L’Hyper Parc existe toujours, du moins ce qu’il en reste. La Grande Roue n’est plus là depuis longtemps, arrêtée in extremis par le Pr Alan Super White alors que, détachée de son socle, elle menaçait de rouler sur les dortoirs de la section 35. La plupart des bâtiments n’est plus qu’un amas de ruines, mais parfois, si l’on attend le coucher du soleil artificiel, on voit passer au ralenti un mini-train et son unique passager, un homme tassé et sans cheveux avec un fanion et une peluche sans tête, qui crie aussi doucement que va le train : « youuhouuu ». Et il sourit en se faisant engouffrer par un tunnel. Lentement. 

Il est à noter que la pratique des fléchettes fut oubliée 12 minutes après l’installation de la cible, suite à la perte quasi simultanée des deux fléchettes accordées par l’Économe Cremissi. On ne se remit à y jouer que le 26 mars 1999 à 17h36, lorsqu’un Stagiaire se servit d’un bouchon de liège percé d’une aiguille en guise de projectile. Mais un Économe de passage déclara la fléchette de substitution non conforme aux règles d’hygiène et de sécurité, rapport à des vaccins de scorbut non mis à jour. Puis on oublia à nouveau ce jeu pendant 4 mois, jusqu’à ce qu’un Blagologue se pique les fesses en 2 endroits différents après s’être assis sur un pouf qui portait un écriteau « peinture fraîche », sans doute placé là depuis 1979 sur les ordres express de l’Économe Cremissi.