Les passages vers la surface

Le Bar de Bob

C’est un rade miteux situé dans une ville importante, dans un immeuble de plusieurs étages. Il est tenu par un gars joufflu, Bob, sa femme Paulette, et sa mère Becky. Tous trois sont en réalité des agents extra-gouvernementaux qui contrôlent une des entrées principales de la Division 147. L’immeuble entier appartient au gouvernement, mais est occupé par des bureaux et des sociétés privées. Seul le bar communique avec le sous-sol. On entre par les WC, en tirant la chasse tout en appuyant sur le « O » de « Bob peace dans sa bière », un graffiti sur le mur.

Les habitués du bar sont des Blagologues et trois vieux, des Agents de Sécurité en repos. Le patron est souvent odieux, c’est ce qui fait fuir les autres clients. Une autre entrée à proximité est le garage à 2 niveaux officiels, sous le bâtiment.


Les Magasins Jouet Trust

Pour diffuser la propagande Blagologique à travers le monde, rien de mieux qu’une multinationale hypertrophiée de jouets. La chaîne de magasins Jouet Trust est là pour ça et fait le bonheur des petits et des grands, avec son fameux rayon de Farces & Attrapes, sa large gamme de déguisements et postiches en tous genres, sans oublier les incontournables jouets spéciaux. Seul absent du catalogue Jouet Trust : le déguisement de clown qui, suite à l’affaire de l’Aile des Clowns du Dr Toto Schwarz a été retiré des rayons, sans aucune explication.

Les employés des magasins sont des gens tout à fait normaux qui n’ont pas idée de l’existence de Blagologie. Par contre, les gérants sont des Économes et des Administrateurs ayant développé une forte appréhension de l’extérieur. C’est pour ça qu’ils sont là. Ils ne risquent pas de s’enfuir. De toutes façons, ils ont une puce intégrée à leur système neural qui, s’ils sortent du périmètre autorisé, provoque en eux une montée soudaine de stress, avec fortes sudations et exhalations diverses d’odeurs de rouille, de fonds marins ou de cuir moisi. Puis c’est l’évanouissement. Si les gérants ne rejettent pas le monde extérieur, c’est plutôt lui qui semble les repousser.

On entre généralement dans Blagologie par le monte-charge, à condition d’utiliser la clef et de prononcer à haute et intelligible voix le mot de passe. Celui-ci change presque tous les jours. Normalement, les jours pairs, le mot de passe est « démocratie participative » et les jours impairs, « commerce équitable ». C’est pour ça que ça change presque tous les jours. Mais il semblerait que les gérants se mélangent dans les jours pairs et impairs. Comme la moindre erreur dans la prononciation du mot de passe déclenche un puissant électrochoc au niveau du bas-ventre, les gérants ne se risquent que rarement à utiliser le monte-charge, surtout s’ils n’ont pas préalablement vidé leur vessie.

Sans compter que les Économes et Administrateurs nommés à ces postes sont en réalité les cobayes d’une expérience. Il s’agit d’étudier si l’environnement carcéral mais néanmoins jovial d’un magasin de jouets influe (et de quelle manière) sur la personnalité. Bref, est-il plus drôle ou non de travailler au milieu de coussins péteurs et de robots kamikazes réglés sur le mode auto-destruction réelle imminente ?

À noter que l’équivalent russe de la multinationale Jouet Trust existe, hérité de l’ère soviétique. Il s’agit de la chaîne de magasins Toys ‘R Russes, les jouets, c’est Russe ! Eux, ils ont des habits de clown en rayon. Mais ils n’ont bizarrement aucune fausse crotte en plastique. On en ignore la véritable raison.


L’Institut Doña Grey (et l’Institut White Haven, ainsi que l’Institut Dino Brazino)

Il existe dans le monde entier une multitude de ce genre d’établissement, apparaissant sous des noms divers tels que Centre Lady DeGris, Fondation Baronne Gray ou Clinique Madame Grey. Situé à la surface, l’Institut générique Doña Grey a toutes les apparences d’un centre hospitalier psychiatrique extrême pour bourgeois décadents. Il s’agit en réalité d’un centre de repos pour des Blagologues dont le cerveau est encore nécessaire au maintien de certaines recherches, mais qui sont en détresse psychologique intense. Bref, c’est à peu près le même boulot.
L’établissement est aussi le point d’insertion dans la réalité d’hommes de main mystérieux et inquiétants (ou mystérieux, donc inquiétants) chargés d’opérer à l’extérieur de Blagologie, lors de missions dangereuses et confidentielles (ou dangereuses, mais confidentielles). Ils se présentent le plus souvent comme médecins ou hommes de loi et sous cette couverture, exécutent leurs missions en solitaire, avec une précision toute chirurgicale qui fait froid dans le dos (le plus souvent, de la cible). Pourtant, si on devait résumer les ordres qui leurs sont donnés, ça ressemblerait à un jargon de facteur. En gros, cela donnerait : « Je dois rapporter un colis » ou « Je dois expédier un paquet », ou encore « Ah, c’est 15h45, ça partira pas avant lundi. ».
On appellerait ces facteurs caméléons les Marron.
Pour des raisons de facilité, la majorité des employés de l’établissement ignore la nature du centre psychiatrique. Ce sont des personnes qui ont suffisamment d’impatience et de semblant de pouvoir entre les mains pour oublier qu’elles ont une conscience. Des personnes nées pour devenir des caporaux hargneux sans hiérarchie.

Une autre catégorie de pensionnaires est celle des cas à isoler. Ce sont des fugitifs des sous-sols de Blagologie qui ont été réintégrés par les Marron, puis installés dans l’aile de Reconditionnement Actif pour une courte période s’achevant le plus souvent par une crémation hâtive, suite au décès forcé du patient. Néanmoins, il arrive que le sujet soit jugé réhabilitable dans ses fonctions, auquel cas, il redescend en sous-sol avec le sourire crispé de ceux qui recouvrent leur liberté comme ils vont au bagne.


La multinationale Pratt and Hacter, and Hacter & Schmidt

Ce trust aux statuts polyphoniques est basé dans une boîte aux lettres orangée fixée sur un piquet aux Philippines au milieu d’une multitude d’autres boîtes aux lettres colorées parfois altérées par une piña colada renversée. Derrière ce curieux double patronyme se cache une puissante organisation néo-mafieuse. Si le monde était composé de râteliers et si le pouvoir était un aliment, la multinationale Pratt and Hacter, and Hacter & Schmidt serait une vache obèse qui illustrerait bien l’expression ‘bouffer à tous les râteliers’.


Le Kébab Sandwich Kebab

Enseigne qui ne paye pas de mine, le restau rapide Sandwich Kebab propose toute une gamme de kebabs et autres koftës à des prix très abordables. Adir, le patron, et ses deux fils Abdel et Saïd accueillent le client affamé avec toujours le même sourire jovial et la même odeur salivante de viande en cours de cuisson, qui font qu’on aura toujours envie d’y revenir. C’est avec la même phrase rituelle que le père accueille celui qui franchit la porte : « Alors, ça va ? », comme si lui et le client venaient juste de se quitter ou qu’une complicité secrète les unissait.

L’endroit est minuscule, mais on a l’impression qu’il y a toujours du monde dès l’ouverture, à 18h30. C’est normal. En réalité, Adir, Abdel et Saïd sont des robots. Ils font constamment la bouffe, jour et nuit, pour les clients normaux et pour les Blagologues. Bon, d’accord. Ce ne sont pas des robots. Ils font juste à bouffer et manquent d’imagination dans leurs réparties amicales.

Près des toilettes, une petite porte, marquée CELLIER et équipée d’un verrou de la taille du New Jersey, donne sur un passage vers les couloirs de Blagologie. Dès que quelqu’un entre, un astucieux système de fouille corporelle robotisé se met en place et vérifie tout, du sexe jusqu’au reste, de l’identité du visiteur. A dire vrai, c’est souvent Saïd qui pelote, parce que la machine a été cassée et que c’est aussi bien fait quand c’est Saïd qui le fait. Ensuite, il faut passer par un scan rétinien et un mot de passe. Ce n’est qu’alors que l’ascenseur secret se révèle, direction le SAS #15, dans les premiers niveaux de Blagologie.

Il faut préciser que quasiment tous les habitués sont au courant du mot de passe. Ce dernier consiste en un dialogue bourré entre Abdel et Saïd, dialogue qu’ils répètent à foison lorsqu’ils sont à nouveau bien faits.
« Hé ! On est pas les rois ?
— Si, on est même des nababs !
— Les nababs du kebab ! » (= mot de passe)
Tout ceci s’explique par le fait que si les trois savent qu’il y a une entrée secrète dans le kebab, ils croient bosser pour les services secrets d’un pays quelconque, pas pour Blagologie dont ils ne soupçonnent pas l’existence. Disons qu’ils s’en foutent un peu qu’il y ait parfois du monde qui entre et sorte par lot de trois du faux cellier. Tant qu’ils n’oublient pas de commander une barquette de frites.

Et puis, ça fait marrer les habitués et les potes quand Adir met une serviette sur sa tête en grimaçant : « Je suis un agent musulman du KGB ! Sinon, Tu l’veux  avec ou sans oignon ? »


La salle de la mobylette à voyager dans le temps à vitesse réelle…

Le bon Dr Brown croyait dur comme son père dans sa mère que la Blague Ultime devait être intemporelle. C’est aussi la théorie de nombreux confrères Blagologues qui officient dans les méandres souterrains des laboratoires de la fameuse Division 147, en quête incessante de la non moins fameuse Blague Ultime, celle qui fera s’écrouler de rire les puissants.

Selon la théorie du Dr Brown, la Blague Originelle serait l’Alpha de la Blague Ultime, qui serait donc son Oméga. Il suffirait donc de trouver la Blague Originelle et la Blague Ultime serait révélée au monde. CQFDP (Ce qu’il fallait démontrer, pouêt).

Il mit donc à profit une file d’attente un peu trop longue pour se faire repasser la blouse et inventa une machine à voyager dans le temps à partir d’un trombone qu’il déforma pour en faire un ressort couplé à une planche de skate et une tranche de bacon. De retour dans son laboratoire, la salle J24, le Dr Brown fixa le tout sur une mobylette 103HPL Chopper qu’il boosta avec de l’uranium enrichi.

Après une cérémonie en fanfare où le kirsch remplaça allègrement les dialogues, le Dr Christopher Antoni Stanislaw Brown empoigna sa mobylette, la poussa laborieusement une vingtaine de mètres avant que le moteur ne fasse « poutou-pouuuuf-pout-pout-pout-pout… »

On lança des cotillons sous les hourras des Stagiaires de la Section 13 qui ne rataient jamais une occasion de guincher ; les sous-fifres du Dr Brown prenaient fébrilement des notes allant de l’humidité de l’air à la teneur en cerise des verres de kirsch, en passant par la radioactivité des sous-vêtements de l’infâme Mlle Green ; le Docteur Brown posa la partie arrière de la mobylette sur un socle afin de la maintenir en place, il enfourcha sa bécane et mit les gaz pour atteindre la vitesse de 45 km/h, le seuil fatidique pour déclencher le voyage dans le temps.

D’après le rapport du Stagiaire Orange que d’aucuns considèrent comme le compte-rendu le plus fiable de l’expérience, ça a fait « sprouitss », avec deux « S » à la fin, et le Docteur s’est enfoncé dans le temps. Puis on a fini le kirsch, le Chr Mauve a appelé la maintenance pour nettoyer avec des consignes précises et les disciples du Docteur ont été affectés ailleurs.

Le Dr Brown est soi-disant parti pour le futur pour trouver du matériel qui lui permettra d’améliorer sa bécane pour ensuite revenir dans le passé et trouver la Blague Originelle. Mais si l’on se rend dans le laboratoire J24, on peut s’apercevoir qu’il est toujours là, enfin, il y a une mobylette qui est posée sur un socle, chevauchée par un Dr Brown plus statique et rigide qu’un spectateur druckerien. Apparemment, c’est bien le Docteur et même s’il ne présente aucun signe de vie, il ne s’est pas décomposé depuis les années 80, époque de son expérience.

La thèse principale est que le temps s’est arrêté pour lui et qu’il est bloqué dans le présent. Mais certains avancent que le Dr Brown n’est pas bloqué, puisqu’on peut le toucher. Au contraire, il aurait laissé pendant son voyage dans le temps une trace à chaque instant présent, même si pour lui, chaque instant présent ne représente qu’une fraction de seconde. Arrivent alors les spécialistes du continuum espace-temps pour qui chaque fraction de seconde est un instant présent au temps T toujours égal à lui-même et que donc, le présent n’est plus relatif mais absolu…

Ça finit toujours par se disputer.

Enfin, il existe une dernière théorie qui affirme que le Dr Brown aurait fait une erreur dans ses calculs et, si le temps ne passe pas pour lui, il voyagerait bien dans le temps, mais à vitesse réelle. Ce qui explique pourquoi on le voit. On peut même lui écrire dessus, la preuve, puisque c’est devenu un lieu de pèlerinage pour jeunes couples de Blagologues romantiques qui viennent inscrire pour le futur leur relation. En effet, si on veut faire parvenir un message à la postérité, c’est quasiment le seul endroit public qui soit sûr de ne pas être détruit au moins une fois dans l’année.

Enfin, jusqu’à ce que le Dr Brown arrive à destination…

A noter que certains petits mesquins ont bien sadiquement tenté de graver au biseau des mots cochons, mais la structure moléculaire interne du Docteur semble inaltérable dans son état actuel. En clair, on peut gribouiller sur sa gueule, y élever un couple de mainates, mais pas l’égratigner.